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L'ostéopathie mérite-t-elle d'être considérée comme scientifique ?

Ce que révèle une étude choc sur plus de 1500 traitements

ostéopathie scientifique

Publié le 19 Mai 2025

Temps de lecture : 2 min 35

1. La question qui dérange

On nous le répète : "la médecine moderne est basée sur les preuves". Mais de quelles preuves parle-t-on ? Et surtout... quelle est leur qualité ?

Une étude publiée en 2022 dans le Journal of Clinical Epidemiology a analysé plus de 1500 traitements testés dans les revues Cochrane, considérées comme l'or absolu en matière de rigueur scientifique. Et les résultats sont étonnants, voire perturbants.

Moins de 6 % des interventions médicales analysées sont soutenues par des preuves de haute qualité.

Non, cette étude n'est pas une attaque contre la médecine.* C'est un appel à plus de discernement, de nuance... et surtout à une forme d'honnêteté intellectuelle.

Si seulement 6 % des traitements pharmaceutiques sont aujourd’hui soutenus par des preuves de haute qualité,* *comment pourrait-on raisonnablement exiger de l’ostéopathie — jeune discipline aux moyens limités — un niveau de preuve supérieur pour qu’elle soit légitimée au même titre que la médecine conventionnelle ?

Ce serait ignorer le contexte historique, la complexité des approches manuelles, et les obstacles méthodologiques qu’elles rencontrent.

Ce n’est pas une faiblesse : c’est un défi scientifique à relever, avec rigueur mais sans dogmatisme

2. Une analyse à grande échelle : la méthode

Les auteurs (Howick et al., 2022) ont extrait un échantillon aléatoire de 2428 revues Cochrane publiées entre 2008 et 2021. Ils en ont retenu 1567 interventions médicales répondant à des critères stricts :

  • Comparaison avec un placebo, un soin usuel ou une absence de traitement.
  • Présence d'un critère principal évalué selon la méthode GRADE (standard international pour juger la qualité des preuves).

Pour être considéré comme "efficace" dans cette étude, un traitement devait :

  1. Montrer un effet significatif (et pas juste un hasard statistique),
  2. Reposer sur des preuves de haute qualité (GRADE),
  3. Être jugé bénéfique par les auteurs de la revue.

Ces critères sont standards et rigoureux. Ils fonctionnent très bien pour évaluer des médicaments, où isoler un principe actif, le doser et le comparer à un placebo est relativement simple.

Mais qu'en est-il des thérapies manuelles comme l'ostéopathie, la chiropraxie ou la kinésithérapie ?

Peuvent-elles être évaluées selon les mêmes protocoles ?

En réalité, très difficilement, pour plusieurs raisons :

A. Une consultation n'est jamais qu'un geste

Dans une étude, on peut isoler une technique ostéopathique et la comparer à une "fausse" manipulation.

Mais dans la réalité d'un soin, un ostéopathe n'utilise jamais une seule technique sur une seule zone :

Il évalue plusieurs régions, teste des chaînes fonctionnelles, ajuste selon le contexte, l'historique et le ressenti du patient.

Reproduire cela dans un protocole figé, c'est comme vouloir évaluer un plat gastronomique en analysant uniquement une épice.

B. L'échange humain : impossible à standardiser

Une consultation commence par une phase essentielle : l'anamnèse.

C'est un moment d'écoute, d'observation, de lien.

Dans un essai clinique, pour éviter tout biais, on demande aux praticiens de poser les mêmes questions à tous les patients, de manière neutre, robotique. Mais en faisant cela, on supprime un ingrédient central : la relation thérapeutique.

Et pourtant, l'efficacité d'une prise en charge manuelle repose aussi sur cette connexion humaine.

Un patient qui se sent écouté, reconnu, en sécurité, réagit différemment d'un patient traité comme un simple numéro.

C. Une technique ≠ un protocole reproductible

Prenez un médicament : 50 mg aujourd'hui = 50 mg demain.

Mais une manipulation ostéopathique ? C'est un geste précis, technique… et vivant. Il varie :

  • selon le patient (âge, posture, souplesse, état de stress)
  • selon le thérapeute (expérience, fatigue, sensibilité)
  • selon le contexte global de la séance

Dans les études actuelles, on compare parfois une technique A sur un patient B à une technique simulée C sur un patient D.

Mais si B et D n'ont pas le même âge, la même posture ou les mêmes antécédents, le résultat devient difficilement interprétable.

En pharmacologie, on peut tester le même comprimé sur 100 patients identiques sur le plan biologique.

En ostéopathie, il n'y a pas deux patients identiques, ni deux gestes totalement réplicables.

En résumé

Ce que ces exemples montrent, c'est que les standards actuels de la science ne sont pas inadaptés à la thérapie manuelle — ils sont simplement incomplets.

Ils excellent pour évaluer des objets techniques ou chimiques.

Mais ils peinent à capturer la complexité, l'individualisation et l'interaction humaine au cœur des soins ostéopathiques.

3. Les résultats en chiffres

Sur les 1567 interventions analysées :

  • 158 (10,1 %) avaient des preuves de "haute qualité" selon GRADE.
  • 106 (6,8 %) avaient un effet statistiquement significatif.
  • Et seulement 87 (5,6 %) remplissaient les trois conditions cumulées.

Et les effets secondaires ?

  • Seules 36,8 % des interventions analysées évaluaient leurs effets indésirables.
  • Parmi elles, 8,1 % montraient des effets nocifs significatifs.
  • Très peu de ces données étaient de haute qualité.

4. Ce que cela signifie

Quand on prend un médicament, on imagine souvent qu'il a été testé avec rigueur, validé, optimisé.

Mais cette étude démontre qu'une grande partie des traitements médicaux courants ne repose pas sur des preuves solides. Et contrairement aux idées reçues, ce constat concerne majoritairement des médicaments, pas des approches dites "alternatives".

Quelques chiffres :

  • Sur les 87 interventions validées par des preuves de haute qualité, 74 % étaient pharmacologiques.
  • Mais cela ne représente que 7,8 % des médicaments évalués.
  • Aucune thérapie manuelle ne passe ce filtre strict : non pas forcément par inefficacité, mais par absence d'études ou inadéquation méthodologique.

5. Pourquoi si peu de traitements "validés" ?

Les auteurs avancent plusieurs raisons :

  • Le système GRADE est extrêmement strict : un biais mineur peut faire chuter la note.
  • Les études cliniques ne mesurent pas toujours ce qui compte pour le patient (ex. : qualité de vie, douleur ressentie, ressenti global).
  • Les interventions relationnelles (ostéopathie, hypnose, etc.) rentrent mal dans le moule des essais cliniques standard.
C'est un peu comme vouloir tester l'efficacité d'un chef cuisinier à travers des analyses nutritionnelles : on risque de passer à côté de l'essentiel.
article journal scientifique

6. Et l'ostéopathie dans tout ça ?

Souvent critiquée pour son "manque de preuves", l'ostéopathie n'est pas un cas isolé.

"Oui, nous manquons encore d'études solides. Mais ce constat s'applique à l'ensemble du système de soins."

Le vrai enjeu est d'élargir la rigueur scientifique à tous les champs, sans deux poids deux mesures. Cela passe par :

  • Plus d'études de qualité sur les soins non conventionnels,
  • Une meilleure reconnaissance de la complexité du soin,
  • Une déontologie du doute, partagée par tous les acteurs de santé.

Cela signifie aussi que l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence d'efficacité. (Altman & Bland, 1995)

7. Cinq idées clés à retenir

  1. Preuve ≠ vérité absolue : la science avance avec incertitudes et remises en question.
  2. Traitement prescrit ≠ traitement "prouvé" : même remboursé, un soin peut manquer de preuves robustes.
  3. Ce n'est pas l'ostéopathie qui décroche le plus mauvais score.
  4. Le soin le plus efficace est celui qui prend en compte l'ensemble de votre histoire.
  5. Le doute est sain. La nuance aussi.

Le saviez-vous ?

Le shiatsu est reconnu par l'OMS comme une pratique de santé complémentaire, et plusieurs pays européens lui accordent déjà une place légitime dans le parcours de soin.

Et pourtant, en France, il reste largement méconnu. (Même constat pour l'ostéopathie). Le débat persiste entre médecines dites "alternatives" ou "holistiques" et médecine conventionnelle, souvent perçues comme opposées… alors qu'elles pourraient, en réalité, se compléter intelligemment.

8. Pour aller plus loin

Sur notre blog, on décrypte chaque mois des études, on vulgarise la science pour qu'elle vous soit utile, et on partage des pistes pour mieux comprendre votre corps.

Vous y trouverez :

  • Des éclairages sur la douleur, le stress, la posture,
  • Des focus sur des études récentes,
  • Et des conseils pratiques pour cheminer, en toute autonomie, vers un mieux-être durable.

Conclusion

La science est un outil. Précieux, mais imparfait.

L'étude de Howick et al. (2022) n'est pas un pamphlet. C'est un miroir. Elle révèle une chose essentielle : même les piliers de notre médecine reposent parfois sur des fondations fragiles.

Et si c'était justement le bon moment pour remettre du sens, du dialogue et de l'humanité au cœur du soin ?

Références

  • Howick, J., Koletsi, D., Ioannidis, J. P. A., Madigan, C., Pandis, N., Loef, M., Walach, H., Sauer, S., Kleijnen, J., Seehra, J., Johnson, T., & Schmidt, S. (2022). Most healthcare interventions tested in Cochrane Reviews are not effective according to high quality evidence: a systematic review and meta-analysis. Journal of clinical epidemiology, 148, 160–169. https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2022.04.017
  • Altman, D. G., & Bland, J. M. (1995). Absence of evidence is not evidence of absence. BMJ (Clinical research ed.), 311(7003), 485. https://doi.org/10.1136/bmj.311.7003.485

Auteur :

Jacquinot LIN

Jacquinot LIN

Ostéopathe et formateur

  • Prix de la recherche appliquée
  • Master 1 STAPS mention PAEH
Trophy

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