La Course à pied est-elle mauvaise pour le dos ?

Publié le 22 décembre 2025
Temps de lecture : 12 min
« La course à pied, ça détruit le dos. »
Si vous courez régulièrement, vous avez probablement déjà entendu cette phrase.
Imaginez Camille, 38 ans, qui s'est mise au running pour gérer son stress. Au bout de quelques semaines, une gêne dans le bas du dos apparaît. Son entourage lui tombe dessus : « Tu vois, on te l'avait dit, courir ça tasse la colonne ! » Résultat : elle arrête tout… alors qu'elle se sentait mieux physiquement et mentalement.
Mais… est-ce que la science dit vraiment que la course à pied est dangereuse pour le dos ?
Spoiler : pas du tout. Et c'est même plutôt l'inverse, à certaines conditions.
Dans cet article, je vais vous montrer, en m'appuyant sur la littérature scientifique (PubMed, Elsevier, Cochrane, Google Scholar), ce que l'on sait vraiment des liens entre course à pied et lombalgie, et comment courir en limitant les risques pour votre dos.
1. Le mal de dos : un problème massif… mais pas forcément dû à la course
Les grandes études de santé publique montrent que la lombalgie (douleur située entre les côtes basses et le pli fessier) est la première cause d'invalidité dans le monde. Le nombre de personnes touchées a augmenté d'environ 54 % entre 1990 et 2015 (Hartvigsen et al., 2018).
La plupart des lombalgies sont dites « non spécifiques » : on ne trouve pas de cause unique claire (fracture, tumeur, infection…), mais plutôt un mélange de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux (Hartvigsen et al., 2018).
Les recommandations internationales (NICE, HAS, guidelines internationales compilées par Oliveira et al.) convergent toutes vers un message clé :
Rester actif et bouger est l'un des meilleurs traitements et moyens de prévention de la lombalgie. (Oliveira et al., 2018).
La course à pied fait donc partie des activités qui peuvent être envisagées… mais est-ce qu'elle augmente le risque de mal de dos ?
2. Les coureurs ont-ils plus mal au dos que les autres ?
C'est LA question que se sont posés plusieurs chercheurs ces dernières années.
2.1. Une revue systématique sur les coureurs
En 2020, Maselli et ses collègues ont publié une revue systématique portant sur 19 études et plus de 7000 coureurs. Résultats :
- Prévalence de lombalgie chez les coureurs : entre 0,7 % et 20,2 %
- Incidence (nouveaux cas) : entre 0,3 % et 22 %
Ces chiffres sont plus bas que ceux de la population générale et d'autres sports (Maselli et al., 2020).
Autrement dit : les coureurs n'ont pas plus mal au dos que les non-coureurs – au contraire, ils semblent plutôt légèrement protégés.
2.2. Une revue narrative récente en français
En 2025, Parisis et al. ont publié dans le Journal de Traumatologie du Sport une revue narrative spécifiquement consacrée à la course à pied et à la lombalgie (Parisis et al., 2025).
Leurs conclusions :
- La prévalence et l'incidence de la lombalgie chez les coureurs sont plus faibles que dans la population générale.
- Les facteurs de risque identifiés sont surtout liés à des erreurs d'entraînement et à certains profils (on y revient juste après).
- La course à pied semble avoir des effets bénéfiques sur le disque intervertébral (meilleure hydratation, hypertrophie).
- Chez des patients lombalgiques, 73 % ne rapportent pas d'aggravation des symptômes en courant, voire une amélioration. (Parisis et al., 2025)
Ça commence à aller franchement à l'encontre du discours « la course détruit le dos ».
2.3. Et chez les marathoniens ?
Une étude de Wu et al. (2021) sur des marathoniens montre une incidence de lombalgie entre 4,8 % et 10,3 %, ce qui reste relativement faible (Wu et al., 2021).
La lombalgie est donc possible chez le coureur… mais ce n'est ni la blessure la plus fréquente, ni une fatalité.
3. Les vrais facteurs de risque de douleur lombaire chez le coureur
Si ce n'est pas la course en elle-même qui « abîme » le dos, qu'est-ce qui augmente réellement le risque ?
Les études de Maselli et al. et la revue de Parisis et al. pointent plusieurs facteurs (Maselli et al., 2020 ; Parisis et al., 2025).
Facteurs intrinsèques (liés à la personne)
- Antécédents de lombalgie ou de blessure
- Moins d'expérience en course à pied (débutants)
- IMC > 24
- Grande taille
- Raideur de hanches, ischios et dos
- Différence de longueur de jambe
Facteurs extrinsèques (liés à l'entraînement ou au contexte)
- Absence d'échauffement
- Fatigue importante / manque de récupération
- Augmentation trop rapide du volume ou de l'intensité
- Technique de course altérée (posture, impact, cadence)
- Conditions environnementales extrêmes (froid intense, chaleur, etc.) (Wu et al., 2021)
👉 Ce tableau ressemble plus à un problème de dosage et d'organisation de l'entraînement qu'à une « toxicité » de la course elle-même.
4. La course à pied peut-elle… protéger le dos ?
C'est probablement la partie la plus contre-intuitive.
4.1. Activité physique et risque de lombalgie
Plusieurs études de cohorte montrent que les personnes physiquement actives ont moins de lombalgies que les personnes sédentaires (Haddadj et al., 2025).
Une grande étude récente dans JAMA Network Open suggère qu'un volume de marche élevé (plus de 100 minutes par jour) est associé à une réduction d'environ 23 % du risque de lombalgie chronique (Haddadj et al., 2025).
La revue de Pocovi et al. (2022), qui a compilé 19 essais contrôlés randomisés, montre que marcher / courir est plus efficace qu'aucune intervention pour réduire la douleur et le handicap en cas de lombalgie chronique, même si ce n'est pas supérieur à certaines autres formes d'exercices spécifiques (Pocovi et al., 2022).
4.2. Effets sur les disques intervertébraux
La revue de Parisis et al. met en avant des travaux montrant que la course à pied est associée à une meilleure hydratation et une hypertrophie des disques intervertébraux lombaires, ce qui va plutôt dans le sens d'un effet d'entraînement positif sur ces structures (Parisis et al., 2025).
Dit autrement : des doses raisonnables de course à pied semblent "entraîner" vos disques, pas les user prématurément.

5. Que disent les recommandations internationales ?
Les grandes recommandations de prise en charge de la lombalgie (revue d'Oliveira et al. 2018, guidelines internationales, et plus récemment les guidelines de l'OMS 2023) sont très claires (Oliveira et al., 2018 ; World Health Organization, 2023).
- Encourager l'activité physique régulière, adaptée aux capacités et aux préférences de la personne.
- Éviter le repos au lit prolongé.
- Utiliser des exercices de renforcement, d'endurance et de mouvement progressifs.
- Miser sur une approche biopsychosociale (stress, sommeil, contexte de vie comptent autant que l'anatomie).
Aucune de ces recommandations ne dit « la course à pied est à bannir en cas de lombalgie ».
Au contraire, il est suggéré de choisir l'activité que la personne apprécie et qu'elle peut maintenir dans le temps, ce qui inclut tout à fait la course lorsque c'est possible.
6. Comment savoir si vous pouvez courir avec (ou après) un mal de dos ?
6.1. D'abord : vérifier qu'il ne s'agit pas d'un cas "à risque"
Quelques signes d'alerte imposent de consulter rapidement un professionnel de santé (médecin, urgentiste) avant de penser à courir (Hartvigsen et al., 2018).
- Fièvre, frissons, malaise général
- Traumatisme violent récent
- Amaigrissement inexpliqué, antécédent de cancer
- Douleur nocturne qui ne varie pas avec les positions
- Troubles neurologiques : faiblesse franche dans une jambe, troubles urinaires ou du périnée, etc.
Sans ces signes, et après avis médical si besoin, la course à pied peut souvent être reprise progressivement, surtout si la lombalgie est non spécifique.
6.2. Les bonnes questions à se poser
Avant de remonter les lacets, demandez-vous :
- Depuis combien de temps ai-je mal ?
Douleur récente, en amélioration → souvent bon pronostic. - Est-ce que la course augmente la douleur de manière durable (>24h) ?
Si oui, il faut ajuster la dose. - Suis-je en période de fatigue, de stress, ou de changement brutal de charge ?
Ces contextes augmentent le risque de poussée (Hartvigsen et al., 2018).
7. Les 5 erreurs qui augmentent vraiment le risque de mal de dos en courant
Pour rester concret, voici les erreurs les plus fréquentes que l'on retrouve dans les études… et dans les cabinets.
- Augmenter trop vite le volume ou l'intensité
Passer de 10 km à 30 km / semaine en deux semaines, ou se lancer sur un semi-marathon sans préparation. - Sauter systématiquement l'échauffement
L'absence d'échauffement est identifiée comme un facteur de risque de lombalgie chez les marathoniens (Wu et al., 2021). - Courir en état de fatigue avancée
Fatigue = altération de la technique de course + moins bonne tolérance aux contraintes. - Négliger le renforcement musculaire du tronc et des hanches
Une endurance musculaire insuffisante du tronc et des hanches est associée à la lombalgie et aux blessures de membre inférieur (Academy of Orthopaedic Physical Therapy, n.d.). - Être sédentaire… en dehors de la course
Courir 2× par semaine mais passer le reste du temps assis, sans bouger, n'est pas un "bouclier" parfait. Le reste de votre hygiène de vie compte (sommeil, mouvement quotidien, gestion du stress…) (Hartvigsen et al., 2018).

8. Un plan "safe run" pour protéger votre dos
Voici une trame que vous pouvez adapter (ou faire adapter par un professionnel) si vous avez des antécédents de lombalgie ou des appréhensions.
Étape 1 – Stabiliser la douleur au quotidien
- Prioriser la marche, les changements de position, des mouvements doux (flexions, rotations modérées).
- Éviter le repos strict, sauf phase très aiguë (Oliveira et al., 2018 ; World Health Organization, 2023).
Étape 2 – Renforcer le socle
2 à 3 fois par semaine, 20–30 minutes, travail progressif sur :
- Endurance du tronc : planche, side-plank, ponts, variantes tenues courtes et fréquentes.
- Hanches et membres inférieurs : fentes, squats, montée de marche.
- Mobilité contrôlée : hanches, thoracique, ischios.
Les recommandations physiothérapiques internationales mettent en avant l'intérêt de ce type d'exercices dans la lombalgie (George et al., 2021).
Étape 3 – Reprise de course progressive
Par exemple (à adapter) :
- Semaine 1–2 :
3 séances de 20–25 min type 1 min de course / 2 min de marche, sans dépasser 3–4/10 sur l'échelle de douleur, qui doit revenir à la ligne de base dans les 24h. - Semaine 3–4 :
2 min course / 1 min marche, même durée totale. - Semaine 5+ :
Allonger progressivement les blocs de course, diminuer la marche, augmenter <10 % par semaine en volume total.
Étape 4 – Ajuster si le dos proteste
- Douleur qui monte jusqu'à 3–4/10 pendant la séance, puis revient au niveau habituel dans les 24h : généralement acceptable.
- Douleur qui reste augmentée le lendemain, ou qui dépasse 5–6/10 :
réduire la durée / l'intensité, insérer plus de jours de récupération, renforcer davantage en parallèle.
9. À retenir (et à partager à tous ceux qui disent "la course détruit le dos")
- Le mal de dos est extrêmement fréquent, mais il est rarement lié à une structure unique « cassée ». (Hartvigsen et al., 2018)
- Les coureurs n'ont pas plus mal au dos que les non-coureurs – la prévalence et l'incidence de lombalgie chez les coureurs sont plutôt plus faibles. (Maselli et al., 2020)
- La course à pied, pratiquée avec un volume raisonnable, une progression adaptée et un minimum de renforcement, semble plutôt bénéfique pour la santé du rachis (y compris des disques). (Parisis et al., 2025)
- Les vrais risques viennent surtout des erreurs d'entraînement (charge, absence d'échauffement, fatigue) et de facteurs individuels (antécédents, manque de force, contexte psychosocial). (Maselli et al., 2020 ; Wu et al., 2021)
- Les grandes recommandations internationales et les guidelines OMS ne déconseillent pas la course à pied ; elles encouragent au contraire l'activité physique dans la prise en charge de la lombalgie. (Oliveira et al., 2018 ; World Health Organization, 2023)
En résumé : ce n'est pas la course qui est dangereuse pour votre dos, c'est la façon dont on la pratique.
Références scientifiques (format APA) — avec liens
- George, S. Z., Fritz, J. M., Silfies, S. P., Schneider, M. J., Beneciuk, J. M., Lentz, T. A., et al. (2021). Interventions for the management of acute and chronic low back pain: Revision 2021. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, 51(11), CPG1–CPG60. https://doi.org/10.2519/jospt.2021.0304 (PubMed: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34719942/)
- Haddadj, R., et al. (2025). Volume and intensity of walking and risk of chronic low back pain. JAMA Network Open. https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2835297 (PMC: https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC12166487/)
- Hartvigsen, J., Hancock, M. J., Kongsted, A., Louw, Q., Ferreira, M. L., Genevay, S., et al. (2018). What low back pain is and why we need to pay attention. The Lancet, 391(10137), 2356–2367. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)30480-X (PubMed: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29573870/)
- Maselli, F., Storari, L., Barbari, V., Colombi, A., Turolla, A., & Gianola, S. (2020). Prevalence and incidence of low back pain among runners: A systematic review. BMC Musculoskeletal Disorders, 21, 343. https://doi.org/10.1186/s12891-020-03357-4 (PubMed: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32493481/ ; PMC: https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7271446/)
- Parisis, J., Delvaux, F., Kaux, J.-F., & Demoulin, C. (2025). Course à pied et lombalgie : revue narrative de la littérature. Journal de Traumatologie du Sport, 42(1), 21–27. https://doi.org/10.1016/j.jts.2024.06.005
- Pocovi, N. C., de Campos, T. F., Lin, C.-W. C., Merom, D., Tiedemann, A., & Hancock, M. J. (2022). Walking, cycling, and swimming for nonspecific low back pain: A systematic review with meta-analysis. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, 52(2), 85–99. https://doi.org/10.2519/jospt.2022.10612 (PubMed: https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34783263/)
- World Health Organization. (2023). WHO guideline for non-surgical management of chronic primary low back pain in adults in primary and community care settings. World Health Organization. https://www.who.int/publications/i/item/9789240081789
- Wu, B., Chen, C. C., Wang, J., & Wang, X. Q. (2021). Incidence and risk factors of low back pain in marathon runners. Pain Research and Management, 2021, 6660304. https://doi.org/10.1155/2021/6660304 (PMC: https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC7920723/)
- Academy of Orthopaedic Physical Therapy. (n.d.). Risk factors for low back pain in recreational distance runners (PDF). https://www.orthopt.org/uploads/Risk_Factors_for_Low_Back_Pain_in_Recreational_Distance_Runners.pdf
- Oliveira, C. B., et al. (2018). Clinical practice guidelines for the management of non-specific low back pain in primary care: an updated overview. European Spine Journal, 27(11), 2791–2803. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29971708/


